Adios Bahamas, la Lettre d’adieu de Népal.

Comme beau­coup d’en­tre vous l’ont déjà appris, le 9 novem­bre dernier a mal­heureuse­ment mar­qué la perte d’un artiste à part entière. En effet, Népal, aka KLM, aka Grand Mas­ter Splin­ter, nous a trag­ique­ment quitté.

Lais­sant der­rière lui sa discogra­phie, ses dernières volon­tés ont été respec­tées par son entourage. C’est donc le 10 jan­vi­er 2020, un mois et un jour après son décès, qu’Adios Bahamas, son pre­mier et dernier album, nous est dévoilé.

Par où com­mencer? Tant son oeu­vre générale fut sin­gulière, touchante, belle, inspi­rante, inno­vante et pleine de recul.

Celui qui était aus­si à l’aise avec son parte­naire Doum’s qu’en découpant les Faces B dans 16 Par 16, nous avait gâté avant cet opus de trois EPs, totale­ment complémentaires.
Avec 444 Nuits, 445 Nuits et KKSHISENSE8, c’est une ambiance unique que nous dépeignait le provenant du Quatorze.

Décrivant l’en­nui, le sur-place, les doutes, les rêves, et plus générale­ment les inco­hérences du monde, qu’il aura fini par quitter.

 

On pour­rait peut-être résumer son oeu­vre par le mot « cohérence », à tel point qu’un con­den­sé de ces 3 EPs mis sur les plate­formes de stream­ing sous le nom de « 2016–2018″ sonne totale­ment comme un album tra­vail­lé tel quel.

Dif­fi­cile de ne pas recon­naître cette voix non­cha­lante, des rues de Paris à Omote­san­do. Cette voix qui est allée jusqu’au chant dans son entièreté sur Adios Bahamas, cette voix qui délivrait des ambiances uniques der­rière ses cou­plets. Finale­ment, je crois que Népal, c’é­tait avant tout une com­préhen­sion hors du com­mun de la musique. Du génie artis­tique, tout simplement.

 

 

Et com­ment affirmer le contraire?
À la pro­duc­tion musi­cale d’une majorité de ses titres, le mem­bre de la 75e Ses­sion maîtri­sait tous les aspects de sa musique, dévelop­pant encore son spec­tre musi­cal dans son album.
Si l’on pou­vait s’at­ten­dre à ce qu » Adios Bahamas soit dans la con­ti­nu­ité de ses précé­dents pro­jet, c’est finale­ment un mag­nifique con­tre-pied qui nous a été pro­posé. On a effec­tive­ment eu le droit à un album très ouvert, allant jusqu’à la chan­son plusieurs fois, tout en gar­dant sa pâte artis­tique ain­si que son rap.

Et si je par­lais de cohérence tout à l’heure, force est de con­stater que le mot s’ap­plique à l’al­bum, à son paroxysme.

Le mes­sage reste le même de bout en bout, des frag­ments de vie dans des cho­rus. L’al­bum est chargé en col­lab­o­ra­tions, assez famil­iales puisque chaque artiste présent sur le pro­jet avait déjà sor­ti un son en col­lab­o­ra­tion avec Népal par le passé, et ça se sent. Chaque invité apporte sa pierre à l’éd­i­fice, tout en restant dans le sil­lon d’Adios Bahamas. 

 

 

Pour être franc, j’ai enten­du cet album comme une let­tre d’adieu. Comme un dernier sou­venir. Me lais­sant penser qu’il savait com­ment tout allait se finir, tant les allu­sions et réflex­ions sur le sens de la vie, et une pos­si­ble mort se font nom­breuses. L’open­ing de l’al­bum nous fait com­mencer ce voy­age par son émerge­ment : assom­mé, essouf­flé, comme rescapé de la noyade.

 

« La vie c’est une brasse, tu peux son­der les abysses ou nag­er en surface »

 

Une voix japon­aise vient nous indi­quer qu’une nou­velle mis­sion com­mence pour Népal. Après avoir fait le point avec ses émo­tions et la manière dont vivent les hommes, il doit trou­ver une nou­velle manière d’a­vancer. Et les douze titres nous plon­gent au sein de sa réflex­ion, ses émo­tions et ses questionnements.

 

« Si vous êtes sim­ple spec­ta­teur de ce monde qui tombe en ruine, si vous vous êtes trompé de voie, il n’y a aucune rai­son de con­tin­uer à avancer » Cf Rap Genius

 

 Adios Bahamas, c’est une sorte de grand con­stat, peignant le piège du monde dans lequel on vit. Comme le dit le dis­cours de Nas­sim Haramein à la fin du morceau « Tra­jec­toire » : com­ment s’en sor­tir, si com­bat­tre l’en­ne­mi fait de nous la même per­son­ne que lui? Le com­bat, et le mes­sage de l’al­bum, sont sûre­ment d’es­say­er de rester posi­tif, et de con­solid­er nos armures pour stop­per la dégra­da­tion. Chose qu’il a du mal à faire, tant il expose le manque de sens, et le vide que provoque la vie en lui.

 

 

En seule­ment douze titres, on a devant nous un panora­ma musi­cal très étof­fé, chargé lyri­cale­ment, émo­tion­nelle­ment ain­si qu’en ambiances. D « Enne­mis pt.2 » aux teintes d’énorme banger sub­limé par les ad-libs de Di-Meh, aux morceaux lourds en émo­tions comme « Tra­jec­toire », à l’outro « Daru­ma » fidèle à son style de prédilec­tion, pas­sant par des rayons de soleil comme « Sun­dance » ou « Lemon­ade », le pan­el pro­posé est aus­si var­ié que maîtrisé.

 

 

Dif­fi­cile de qual­i­fi­er l’al­bum de con­sécra­tion au vu des cir­con­stances. Je pense qu’on peut néan­moins le qual­i­fi­er d’oeu­vre com­plète­ment aboutie, clô­tu­rant la car­rière de Népal de la plus belle des manières (artis­tique­ment j’en­tends, bien sûr), tout en nous don­nant beau­coup de pistes de compréhension.

Un morceau comme « Sans voir » (ft. 3010) par exem­ple, une fois au courant de cette fin trag­ique, se lit totale­ment d’une autre manière :

 

« Les yeux fer­més dans le noir je sais ce qu’il me reste à faire :

Avancer sans voir, avec le cœur ouvert, avancer sans voir.

Avancer sans voir, les yeux fer­més, avancer sans voir. »

 

Le tout sur une mélodie joyeuse, suivi du début du cou­plet de 3010 dans le même thème.

Comme si Adios Bahamas était une final­ité, ayant enfin per­mis à l’homme der­rière le masque d’ac­com­plir sa des­tinée (idée déjà exprimée dans « Malik Al Mawt » quelques années aupar­a­vant), et de par­tir en paix :

 

« Plutôt mourir vrai­ment, que d’ré­son­ner en foutu zombie »

 

C’est donc avec tristesse que j’ai écouté le, mal­heureuse­ment, dernier album d’un des artistes qui m’au­ra la plus mar­qué. Mais à l’é­coute de celui-ci, on en vient à com­pren­dre l’homme, et à espér­er que sa nou­velle mis­sion de rang S se déroule au mieux Là-bas.

 

 

À tra­vers ce dernier album, c’est toute une discogra­phie, une car­rière, mais surtout une vie qui s’achèvent. Mais sa musique, elle, aus­si maîtrisée que pleine de sagesse, con­tin­uera de vivre à tra­vers les oreilles de ceux qui la com­pren­nent pour tou­jours. Écouter Adios Bahamas, c’est con­tin­uer de voir le monde à tra­vers ses yeux une dernière fois, aus­si loin­tains soient-ils.

Repose en paix Népal, KLM, Grand Mas­ter Splin­ter, et mer­ci pour tout.

Auteur: Loukas Brillaud

Fondateur d'In Da Klub / Responsable Rap FR. Grand consommateur de rap depuis 2011. Toujours à la recherche des rimes les plus aiguisées. Ici pour partager ce qui m'anime le plus, et aller toujours plus loin dans l'analyse tel un scientifique. Retrouvez-moi sur le site d'IDK pour des articles/playlists/autres passes dé, mais surtout sur notre YouTube pour des analyses cousues main.

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