Le 28 septembre dernier, le rap français fêtait un anniversaire et pas n’importe lequel. Source de multiples classiques, l’album signé Lunatic est aujourd’hui un monument. En attendant la révérence finale de Booba, petit un retour sur Mauvais œil qui a passé ses 20 ans.
C’est après les dix-huit mois de prison de Booba que sort le seul et unique album de Lunatic. La première réaction de toute personne serait de parler des paroles appartenant au rap de l’époque. Des paroles engagées qui donnent aux artistes des airs de lanceurs d’alertes. Mais ça ne s’arrête pas là.
Un alliage explosif
Des instrumentales lentes qui ressemblent à break de jazz, des samples musicaux utilisés à outrance et des paroles chargées de sens et d’émotion. Voilà la recette d’un son de rap classique des années 90′. Mais comment Lunatic s’est-il démarqué du lot ?
Tout d’abord, parlons de l’alliage entre les deux rappeurs. D’un côté on dispose d’un Ali qui propose sa voix rêche et son flow agressif. Tandis qu’en face on a un Booba plus posé, doté de sa mythique voix lourde. Ensemble, les deux styles contraires se rencontrent pour former un ensemble homogène, qui se traduit dans l’album de l’intro à l’outro. On trouve une certaine harmonie dans le chaos musical.
Mais cela ne veut pas dire que l’album est un gloubi-boulga de paroles et d’instrus. Tout au contraire. Les phases sont calculées, les rimes dosées et l’imagerie qui sort de l’album crée un univers qui s’insère dans l’imagination de l’auditeur :
« Le son qui met la pression
Garçon
C’est l’opressé contre la répression
Ya plus d’maître ici
Plus d » MCs
Plus d’saisons
Tant de raison
Dans mes récits » — Le son qui met la pression
« On veut ma peau pour c’qui sort d’mon Bic, ou la taille d’ma bite,
Là où j’habite, la qualité d’mon shit
La facilité plaît aux macs et leurs putes simulent à chaque passe,
Pistent le luxe,
Ça existe pas dans mon district » — Têtes brûlées
Des enchainements dynamiques entre les phases qui ont permis à tant de morceaux de devenir des classiques.
Le morceau Kou2Keur
Après des années d’écoutes de cet album, un morceau ressort du lot et il s’agit de « La Lettre ».
Le concept est simple, il s’agit d’une conversation épistolaire entre un détenu et son ami libre. Un clin d’œil aux trois ans en prison que Booba a connus. Il s’agit d’une période qui a empêché le groupe de se développer, un frein dans leur carrière. Il y a dans les paroles du morceau un témoignage du système carcéral de l’époque :
« Bref, on verra après, Mounir m’a appris
Que tu partageais la cellule avec son frère, passe-lui la paix » — Ali
Ali nous montre que les personnes incarcérées viennent d’un cercle proche. Si l’on pousse l’analyse plus loin, on se rend compte qu’il s’agit de personnes qui partagent un background socio-économique similaire. Un moyen noble de venir dénoncer le racisme systémique en France. Le couplet de Booba est aussi légendaire. Notamment la première phase :
« 18 août 98, dans cette putain de maison d’arrêt
Ils me disent que je sors bientôt, à ce qui paraît » — Booba
Il nous décrit sa vie en prison, ses activités mais aussi ses pensées. On passe d’une discussion banale sur du sexe et de l’écriture mais quelques vers nous indiquent une repentance. Mais on comprend une haine grandissante, un faim qui s’accroit, à se demander si ce temps en prison n’a pas fait de Booba l’artiste qu’il est devenu. Le Duc :
« La taule c’est la pression, nourrit l’instinct de révolution
Donc nique sa mère la réinsertionIls savent pas si j’aurais dû naître
Qu’ils aillent se faire baiser, moi je veux devenir ce que j’aurais dû être »
Et si pour vous le morceau fait trop vieillot je vous laisse découvrir le remix frapcore d’Evil Grimace intitulé « Réinsertion » :