[Derrière les synthés #1] Benjay, en pleine ascension

Si vous aimez par­courir les crédits et les livrets des albums, vous êtes au bon endroit ! InDaK­lub vous pro­pose une nou­velle série, con­sacrée aux pro­duc­teurs fran­coph­o­nes, dans laque­lle nous allons dress­er les por­traits musi­caux de ces « indis­pens­ables » du rap français.

« C’est eux qui créent le game. S’il y a un game, c’est parce qu’il y a des beat­mak­ers. » Il y a près de qua­tre ans, Damso remet­tait les choses au clair dans une inter­view pour « La Sauce » sur OKLM Radio. Un mes­sage qui, aujour­d’hui, sem­ble com­pris par beau­coup. Les pro­duc­teurs ont une place plus impor­tante qu’au­par­a­vant dans le pat­ri­moine du rap français. Ils sont « les indis­pens­ables ». Ils façon­nent les gen­res, trans­for­ment, syn­thé­tisent des éner­gies dans leurs instru­men­tales. Ils puisent dans leurs inspi­ra­tions, sélec­tion­nent dans d’autres influ­ences musi­cales pour faire évoluer le rap et amen­er les artistes dans leurs univers. Ils ont tous des styles dif­férents et ten­tent tous d’im­pos­er le leur.

« Der­rière les syn­thés » (DLS), c’est l’oc­ca­sion de revenir sur les par­cours de ces com­pos­i­teurs, d’analyser leurs styles, leurs inspi­ra­tions ain­si que leur impact sur cette scène française. L’oc­ca­sion pour vous de les décou­vrir ou les redé­cou­vrir au tra­vers de leurs compositions.

Pour ce DLS#1, nous allons nous intéress­er à un jeune com­pos­i­teur dont vous avez sans doute déjà enten­du le tag, chu­choté par une voix fémi­nine. Assez dis­cret mais non moins pro­duc­tif, la tra­jec­toire de sa car­rière a pris un bel ascen­dant ces trois dernières années. Il s’ag­it de Ben­jay.

Ben­jay en stu­dio avec Damso, Prin­z­ly et Paco Del Rosso (Source @benjaywnt sur Instagram)

À 23 ans, Ben­jamin Coste­calde incar­ne une généra­tion de com­pos­i­teurs qui a musi­cale­ment mar­qué la décen­nie passée : très forte dans l’al­liance de mélodies effi­caces avec des drums (élé­ments de la bat­terie) puis­santes et dynamiques. Lais­sant le sam­ple de côté pour tra­vailler à par­tir de boucles (loops) de piano ou de gui­tare réal­isées, la plu­part du temps, à par­tir d’un logiciel.

Pour­tant, si Ben­jay s’in­scrit par­faite­ment dans cette vague de pro­duc­teurs ultra mod­ernes, il est dif­fi­cile – et surtout trompeur – de résumer son style de pro­duc­tion en une phrase. Jusqu’à aujour­d’hui, ses dif­férents place­ments témoignent d’une rare diver­sité et d’une véri­ta­ble capac­ité à s’adapter au style des artistes avec lesquels il tra­vaille. Prou­vant qu’il est capa­ble de manier dif­férentes ambiances en ne se met­tant aucune barrière.

Des débuts tonitruants

Si Ben­jay a com­mencé la pro­duc­tion il y a un peu plus de huit ans, ses pre­miers place­ments majeurs datent de 2015, sur la mix­tape Capo dei Capi vol.1 d’Alon­zo. Il signe le banger trap « Zouk­er », ain­si que le morceau « Finis les », con­sid­éré aujour­d’hui encore comme un des clas­siques du rappeur mar­seil­lais. Très sin­gulière, cette instru­men­tale au bpm très lent monte en inten­sité, se chargeant en émo­tion et en élé­ments au fil du temps. Les nappes de syn­thé­tiseurs lui don­nent un côté planant, brisé un temps par une caisse claire (snare) très impac­tante. Le tout explose au refrain, avec quelques touch­es mélodiques en plus. On peut y enten­dre les prémices de la « pat­te » de Ben­jay, notam­ment sur l’u­til­i­sa­tion des drums. Le kick et la basse, très présents, dictent la direc­tion du morceau et amè­nent une aura par­ti­c­ulière. Un de ces morceaux qui lan­cent une carrière.

 

Ben­jay mon­tre sa volon­té d’ex­plor­er des univers dif­férents. Il délivre alors des instru­men­tales très diver­si­fiées, pro­posant des morceaux très som­bres comme « Grosse folle » d’Elh Kmer ou « Con­tre­façon » de Rim’K. Il mon­tre égale­ment une nou­velle facette, s’of­frant le luxe d’ou­vrir ses sonorités et d’aller chercher des mélodies plus dansantes et ensoleil­lées. Des titres comme « Mil­lions » de Barack Adama en co-prod avec Zeg‑P ou « Senori­ta » de Mon­sieur Nov démon­trent cette envie de ne pas se met­tre de bar­rière, et par­ticipent à cette ouver­ture du rap vers des sonorités plus pop et acces­si­bles. Ces tracks peu­vent appa­raître comme des ovnis, mais s’in­scrivent finale­ment dans sa large palette sonore dévelop­pée par la suite.

Polyvalence

Ben­jay enri­chit alors sa panoplie déjà var­iée et va avoir l’oc­ca­sion de tra­vailler plus étroite­ment avec cer­tains rappeurs. Une pos­si­bil­ité pour lui de pos­er sa pat­te sur plusieurs morceaux d’un pro­jet. En 2018, avec Ritchy 31, il signe la majorité des pro­duc­tions de Udigg 1 et 2, amenant des morceaux très dif­férents, de l’en­jail­lant « Bien ou quoi ? (Alles Goed) » au plus noc­turne « 31 Barz ». En par­al­lèle, il com­mence à col­la­bor­er avec PLK sur la mix­tape Pla­tini­um. Dessus, on retrou­ve l’am­biance très smooth de « Copine ». Un morceau qui détonne dans la discogra­phie de PLK à l’époque où celui-ci com­mençait à ouvrir sa musique avec des tracks comme « Dis moi oui ».

On le retrou­ve égale­ment sur le troisième EP de Lay­low, .Raw. On peut ressen­tir une réelle impli­ca­tion de sa part dans la teinte très noc­turne de ce pro­jet, notam­ment avec le titre « Avenue ». Il apporte égale­ment cette touche plus orig­i­nale sur « Pk tu m’in­téress­es » avec plusieurs mélodies qui s’en­tre­croisent, don­nant ce côté un peu brouil­lon mais cher à Lay­low.

Dans une autre ambiance, mais qui démon­tre une nou­velle fois sa ver­sa­til­ité, Ben­jay a par­faite­ment su s’ap­pro­prier la folie de Caballero et Jean Jass. Il apporte ce côté car­toon, plutôt fun dans les mélodies et ces kits de bat­terie très entraî­nants, comme dans « Tout s’ar­rête » avec le son désaxé de cette flûte (dés)enchantée. Le morceau « L’Amérique », en co-pro­duc­tion avec Hyp­not­ic, est égale­ment un bel exem­ple dans ce style, avec ce « clap » très boun­cy et ce kick qui donne cette folle envie de turn-up.

Avec Damso, exigence et précision

Ben­jay est désor­mais claire­ment iden­ti­fié et c’est à ce moment qu’il pro­duit un des morceaux les plus atyp­iques de sa discogra­phie : « 60 années » de Damso (Lithopé­dion 2018). Il est encore dif­fi­cile de décrire cette com­po­si­tion aujour­d’hui tant il s’y passe de choses. Très chargée mélodique­ment, avec sans doute beau­coup d’ef­fets de reverb et de delay (répéti­tion d’une note), cette pro­duc­tion est sûre­ment une des plus abouties de Ben­jay. Ou en tout cas, une des plus tra­vail­lées et com­plex­es de par l’a­mon­celle­ment des élé­ments. Il y a dans ce beat un tra­vail sur le détail assez impres­sion­nant et déroutant à la pre­mière écoute. Les claviers « spa­ti­aux » sont parsemés de quelques touch­es mélodiques épars­es, son­nant comme des bruits de satel­lites. La sen­sa­tion que la basse enveloppe tous les élé­ments de la com­po­si­tion et que la grosse caisse tape de manière dis­con­tin­ue. Un vrai moment musi­cal qui s’ap­pré­cie au fil des écoutes.

Dans Lithopé­dion, Ben­jay mar­que défini­tive­ment l’al­bum de son empreinte avec « Fes­ti­val de rêves ». Des leads (notes de syn­thé­tiseurs) lunaires, comme l’im­pres­sion d’être ailleurs. Un voy­age dans un autre univers. Le kick, la snare et la basse sont d’une pro­fondeur telle qu’ils font dress­er les poils. Cou­plées à la voix tris­te­ment som­bre de Damso et aux voix angéliques, les mélodies trans­portent, comme si tout s’ar­rê­tait un instant. Ces deux propo­si­tions sont indé­ni­able­ment des chefs-d’œu­vre tech­niques, aus­si bien dans l’assem­blage des dif­férents élé­ments que dans la cohérence rythmique.

Plus récem­ment, son impli­ca­tion dans le dernier album de Damso QALF (2020) mon­tre la recon­nais­sance de son tra­vail et ren­force sa fructueuse col­lab­o­ra­tion avec le Brux­el­lois. Accom­pa­g­né d’une arma­da de pro­duc­teurs tal­entueux (Prin­z­ly, Saint DX, Paco Del Rosso,…), il a co-pro­duit six morceaux, avec des couleurs rel­a­tive­ment dif­férentes, de « Life life » à « Pour l’ar­gent ». Il est dif­fi­cile de dis­tinguer le tra­vail de cha­cun. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu beau­coup de réflex­ion sur le fait de s’éloign­er du rap ou au moins de tir­er les ficelles d’autres gen­res musi­caux, afin de respecter la direc­tion voulue par Damso dans ce troisième album. Un morceau comme « 911 » en est une belle illus­tra­tion. Une mélodie rétro avec ses syn­thé­tiseurs et ses gui­tares au grain si par­ti­c­uli­er, sur des drums mod­ernes. Un mélange exquis des gen­res et des épo­ques. Une occa­sion pour Ben­jay de dévelop­per autre chose musi­cale­ment et acquérir de nou­velles influences.

 

Regard vers l’avenir

2020 a été une année par­ti­c­ulière­ment pro­lifique pour le pro­duc­teur. Il a notam­ment obtenu son pre­mier sin­gle de dia­mant avec le hit « Loin de moi » de Naza, co-pro­duit avec DJ Erise, Ray Da Prince et Den­za. Encore un track où il démon­tre cette capac­ité à jouer avec effi­cac­ité sur tous les terrains.

Con­cer­nant ses per­spec­tives, il a déjà débuté une escapade améri­caine en pro­duisant pour Friyie ou WAV. Sur ses derniers place­ments, on retrou­ve d’ailleurs des inspi­ra­tions d’outre-Atlan­tique. Un morceau comme « EHFE » — dans lequel il est crédité en fea­tur­ing — du jeune Brux­el­lois Geeeko (Iréel 2020) peut faire penser à des morceaux de Gun­na, prin­ci­pale­ment dans l’u­til­i­sa­tion de la basse, très ronde et impac­tante, dénuée de kick pour l’appuyer.

Cette asso­ci­a­tion avec Geeeko est d’ailleurs révéla­trice d’une volon­té de pro­duire pour de jeunes rook­ies tal­entueux. Pour témoin, le morceau « Gan­ja » sur l’al­bum Alas­ka de Green Mon­tana sor­ti cette année.

Son futur est promet­teur. Sa côte ne cesse de mon­ter. Le fait d’avoir col­laboré avec tous ces artistes ne fait que lui ouvrir des portes et ne peut que l’en­cour­ager à pro­pos­er quelque chose de dif­férent sur chaque pro­duc­tion. Sans faire de bruit, Ben­jay con­tin­ue de faire son trou dans cette jeune généra­tion de pro­duc­teurs faits « d’or et de pla­tine ». Pourvu que ça dure.

La sélection d'In Da Klub
Trois morceaux à (re)découvrir prod. by Benjay
  • « Y2 » de Lay­low (.Raw 2018)  https://youtu.be/OpGmLQ_dpco

 

  • « Hand­spin­ner » de Ritchy 31 (Uddig II 2018) https://youtu.be/bHvRehIp5ng

 

  • « Zone » de Tor­toz en feat avec Madd et Shobee (Roze 2019) https://youtu.be/JcuK047KbCA

 

Auteur: Simon Jarnier

Rédacteur et responsable de la rubrique Spotlight. "J'ai un cerveau musclé dans un corps squelettique" (si tu as cette référence tu peux continuer ta lecture) et je suis totalement présent depuis le début du projet In Da Klub. Fan de rap depuis une bonne dizaine d'années, je cultive ma passion tous les jours afin de vous offrir les meilleurs articles/playlists et vidéos possibles. Le rap francophone dans toute sa splendeur est ma spécialité mais je ne me ferme pas à Kendrick, Travis ou autre Gunna. Sur ce, foncez sur le site découvrir toute sa richesse!

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