Naar ou l’émancipation du rap maghrébin

Le 13 sep­tem­bre dernier, le col­lec­tif Naar a sor­ti son pre­mier album, « Safar ». Le con­cept : pro­mou­voir les artistes de la scène maghrébine – en par­ti­c­uli­er des artistes maro­cains — à tra­vers des col­lab­o­ra­tions avec des artistes occidentaux.

Naar, c’est l’as­so­ci­a­tion de deux per­son­nes : Mohamed Sqal­li, directeur créatif, et Iliyes Griyeb, pho­tographe. Ils ont décidé de for­mer le col­lec­tif après un con­stat : celui de la trop fréquente appro­pri­a­tion de la cul­ture maghrébine par des occi­den­taux. Le rappeur bri­tan­nique Skep­ta avait par exem­ple util­isé — sans le créditer – des pho­togra­phies de Iliyes Griyeb pour sa mar­que de vête­ments Mains. Autre exem­ple avancé par les créa­teurs de Naar, le clip du morceau « Ter­ri­to­ry », du groupe français The Blaze, qui reprend tout l’e­sprit visuel et l’esthé­tique maghrébins .

C’est après ces con­sid­éra­tions que les deux créa­teurs ont signé une tri­bune dans le Huff­in­g­ton Post inti­t­ulée « Et si on lais­sait enfin les artistes arabes racon­ter eux-mêmes leur(s) histoire(s) ? ».  Car si les créa­teurs arabes ont d’abord été fiers de voir leur esthé­tique util­isée, ils se sont rapi­de­ment ren­dus compte « que les créa­teurs occi­den­taux préféraient faire le tra­vail tout seuls », explique Mohammed Sqalli.

Après cette tri­bune, le pro­jet Naar , « Feu » en français, est né. Et quelques mois plus tard, l’al­bum Safar, « Voy­age » en français, est sor­ti. Il est com­posé de 16 morceaux où col­la­borent des rappeurs et chanteurs maro­cains ( Small X et Shobee, mem­bres du groupe Shayfeen, Madd, Issam, Mal­ca, Damost et Fel­l’G) et des artistes occi­den­taux. On retrou­ve de nom­breux mem­bres de la scène rap française : Koba LaD, Dosseh, Lomepal, Nusky, Nelick, Lay­low, Hor­net la Frappe et Jok’Air, mais aus­si l’i­tal­ien Dref­Gold , l’es­pag­nol Kaidy Cain, le grec Kareem Kalokoh, l’améri­cain Amir Obè et le cana­di­en Jazz Cartier.

Un pro­jet claire­ment mar­qué par le mul­ti­cul­tur­al­isme. Cela se ressent dans les prods, faites par des beat­mak­ers issus de divers con­ti­nents et hori­zons musi­caux, et dans les paroles des chan­sons, rich­es d’un melt­ing pot de langues.

L’aspect visuel du pro­jet est aus­si soigné, reprenant énor­mé­ment l’u­nivers du pho­tographe Ilyes Griyeb dans les clips et dans le superbe mak­ing-of de l’al­bum inti­t­ulé « Cross­ing Bor­ders », disponible sur YouTube.

L’al­bum est var­ié. On passe de sons trap énergiques comme « Can’t Wait », « La Sel­ha » ou « Mula » à de la zum­ba his­panique avec « Bai­da ». Cer­taines col­lab­o­ra­tions, sur des prods plus calmes, abor­dent des sujets pro­fonds. Dans « Ciel », Shobee et Lomepal évo­quent par exem­ple la reli­gion, le juge­ment des autres, et les sac­ri­fices qui peu­vent être con­sen­tis dans la vie.  Dans le pre­mier morceau de l’al­bum, « Can’t Wait », Shobee exprime son envie de briller par delà les fron­tières. « Je n’en peux plus d’at­ten­dre de percer. On est parés, on a faim. » explique-t-il en arabe. 

Safar est égale­ment plein de sur­pris­es. Mal­gré la plu­ral­ité des langues, une réelle syn­ergie se dégage des dif­férents morceaux. On retrou­ve des artistes fran­coph­o­nes qui sor­tent de leur reg­istre habituel avec notam­ment Nusky ou Nelick, dans un style inédit et pour un résul­tat très réus­si. On se rend aus­si compte de la diver­sité du rap maro­cain. Shobee passe d’un style à un autre, entre des sons comme « Can’t Wait », « Ciel » ou « Mon­ey Call ». 

Ce dernier morceau, sor­ti le pre­mier en 2018, compte près de sept mil­lions d’é­coutes sur YouTube et s’im­pose comme le tube de l’al­bum. La col­lab­o­ra­tion entre les maro­cains Madd et Shobee et le toulou­sain Lay­low est très bien exé­cutée. Le clip, tourné à Meknès, au Maroc, est superbe et intè­gre bien l’autre aspect très impor­tant du pro­jet Naar : le visuel.

Au final, l’al­bum est une vraie réus­site. Chaque morceau vient ren­forcer l’im­pres­sion de mariage heureux entre la cul­ture arabe et la cul­ture occi­den­tale. Le suc­cès du morceau « Mon­ey Call » a prou­vé que le pro­jet ini­tial d’é­man­ci­pa­tion des artistes maro­cains fonc­tion­nait. Et avec « Safar », le col­lec­tif Naar mar­que un grand coup et annonce qu’il faut s’at­ten­dre à voir, dans les années à venir, des artistes maro­cains et plus glob­ale­ment des artistes maghrébins émerg­er dans les sphères artis­tiques et cul­turelles occi­den­tales. Et ce, non plus par l’in­ter­mé­di­aire de pla­giats ou d’ap­pro­pri­a­tions cul­turelles, mais par les artistes arabes eux-mêmes.

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