Voilà pratiquement 11 ans qu’Orelsan sortait Perdu d’avance, son premier album. Classique de chez classique, replongeons-nous dans cet Opus d’abord décrié, puis adulé au fil du temps.
Hello la mif ! Aujourd’hui on s’attaque à un de mes albums préférés et monument du rap français: Perdu d’Avance, d’Orelsan. Il aura cependant mis 9 ans à être certifié Platine, né à une époque où le streaming était encore dans l’utérus de la SNEP et où Rohff, La Fouine et Booba dominaient les charts.
1. Une putain d’époque
« Les plus jeunes sont cons, sont bons qu’à faire des blogs
Même pour draguer, faut qu’tu connaisses les codes
Est-ce que tu voudrais bien m’sucer sur MSN? LOL! »
Cette phase résume bien la situation. Né en 1997, j’ai pris de plein fouet la vague Skyblog/MSN, et ces paroles raisonnent encore dans ma tête comme si j’envoyais des Wiz à mon cerveau. Boomer avant l’heure, Aurélien toise cette génération Internet qui contraste avec son époque où le seul réseau social était l’abribus. Véritable thème de l’album, la transition vers un monde plus digital et excitant a grisé l’artiste et a rendu sa plume acerbe, témoignage de l’ennui et de la lose de la jeunesse d’Orel.
Remettons nous le contexte : MSN et Skyblog étaient ultra populaires, MW2 venait de sortir, Sarko et la droite du Kärcher étaient au pouvoir, Benzema était en EDF, Du Ferme allait déferler sur tout le rap français… Avec du recul, on peut dire maintenant que 2009 était le tournant d’une décennie et le début de l’âge d’or du rap français. Les années 2000 ont vu le lent déclin des grands groupes des années 90, NTM et IAM pour ne citer qu’eux, et l’avènement d’artistes qui finalement n’ont pas tenu longtemps, mis à part B2O. Malgré cela, certaines individualités pointaient déjà le bout de leur nez, et n’allaient pas tarder à confirmer les attentes placées en elles…
Voilà que le 16 février 2009 arrive, et un Caennais de 27 ans (!) sort son premier album. Dans un Rap Jeu où la Street Cred était omniprésente, un jeune blanc provincial n’a théoriquement aucune chance de percer. Seulement voilà, le contexte fait que 2 singles, « Saint Valentin » et « Sale Pute », buzzent énormément et le font connaître aux yeux du grand public.
Le premier, notamment relayé sur MySpace, séduit par ses paroles salaces et sa distribution en avance pour l’époque. Dans un style diamétralement différent de ce qu’il se faisait alors, il sort « Sale Pute », un morceau qui lui attirera un lynchage médiatique pour misogynie. Dès lors, Orelsan voit un le buzz se créer autour de lui. Les bases sont posées, passons à l’album.
2. Le Changement
Pour se rendre compte de l’impact de cet album, il faut se dire que sans lui, les Columbine, Vald, Bigflo et Oli et un nombre incalculable d’artistes n’existeraient pas aujourd’hui. Cet album a ouvert le rap français, et ce à bien des niveaux. Les thèmes principaux de l’album sont l’ennui, la flemme et les difficultés d’un jeune en perdition dans sa vie. Chose impensable à l’époque, il décrit une souffrance qui à ce jour n’avait jamais été abordée. Fort du single « Changement », l’album reçoit un succès critique dès sa sortie, et Orel enchaînera les reconnaissances musicales par la suite. Mais Pourquoi ?
Honnêtement, l’album est excellent de bout en bout. Kickeur excellent et punchlineur unique en son genre, Orelsan choque le game et sort du premier degré qui compose l’intégralité du rap de cette époque. Le cynisme, les paroles crues, les instrumentales simples et efficaces de Skread, les flows changeants… La France n’est alors pas prête pour un album aussi en avance sur son temps. De plus, la polémique rattrapant l’artiste, impossible de performer sur scène pendant un temps. Mais l’orage passe, et Orelsan s’inscrit dans le rap français et se crée une fanbase solide. Véritable socle de sa discographie, Perdu d’avance contient son lot de classiques iconiques.
Il y a trop de sons à mettre en avant. « 50% », « Jimmy Punchline », « Soirée Ratée », « Courez courez », « Peur de l’échec », … Pas un seul son n’est raté ! Un quasi-perfect et une diversité musicale incroyable pour un premier projet. On remercie Skread et Gringe, influent dans la conception et amis d’Aurélien, qui l’aident financièrement à mener à bien le projet. L’album est un chef d’œuvre, à contre-courant de tout ce qui avait été tenté jusqu’ici. Entre apologie et fatalisme du quotidien, l’artiste a affiné sa plume là où le goudron empêche les fleurs de pousser.
3. Pour le meilleur et Pour le Pire
Véritable OVNI du rap français, ce cheveu dans la soupe très populaire du rap français s’est fait une place contre vents et marées. Pour illustrer mon propos, voici quelques punchs qui résument bien l’album dans son contexte :
« Tu vas rester sur la touche si tu bouges trop lentement
C’est la course, on a tous du mal à suivre le changement »Piste 1, « Changement »
Fer de lance du « Changement », Orel est le premier à se promouvoir majoritairement sur les réseaux. Il met en garde et annonce que le vent tourne sur le rap FR.
« J’irai jamais décrocher la lune pour tes yeux
Mais quitte à rien branler autant le faire tous les deux
Ouh ouh ouh j’veux, qu’tu sois plus ou moins ma p’tite copine
En attendant d’avoir trouvé mieux »Piste 6, « Pour le Pire »
Mon morceau préféré. L’artiste dit la vérité avec cynisme sur ses relations amoureuses, avouant tout sans langue de bois et avec de l’auto-dérision. Classique shit, morceau chanté et avant-gardiste.
« C’est le remake de Sodome et Gomorrhe, un holocauste sonore
J’suis trop gore pour le grand public
De toute façon j’m’en branle des Victoires de la Musique
J’vise les Hots d’Or »Piste 11, « Jimmy Punchline »
Pied-de-nez à l’industrie, Aurélien ‑aujourd’hui primé aux VM- assume totalement sa nature subversive et s’en vante dans une boucherie qui restera un découpage de prod légendaire.
Piste 14, « La Peur de l’échec »
La peur. Le doute. Les échecs. Ce sont les dernières lignes qu’a écrites l’artiste, quelques heures avant le pressage de l’album. Le morceau, presque intact, retransmet toute la négativité d’Orel et est poignant de sincérité, il décrit et exacerbe ses faiblesses jusqu’à appréhender le suicide, artistique et personnel. Un cri du fond du cœur d’un mec qui a tout donné et qui sait que c’est sa seule et dernière chance. Un texte, un monument du rap.
J’en arrive à la conclusion de cet article et de cet album qui me fait encore ressentir des émotions comme aucun autre. Je me retrouve à 100% dans l’écriture et la sincérité du personnage, du meilleur au pire. Impossible de l’écouter sans nostalgie et émotion, cet album sera à jamais au panthéon des albums de rap, et restera un top 3 des meilleurs premiers albums de tous les temps. J’espère vous avoir donné envie d’écouter ou de réécouter cette merveille, qui a peut-être compté dans votre vie autant que de la mienne.
Merci de votre temps
F0X