Plus d’un an après la sortie de son premier album solo Tristesse Business : Saison 1, Luidji refait surface avec « Palace Mafia ». Un morceau bilan après une année riche qui lui a permis d’acquérir une nouvelle notoriété.
Peut-être l’a‑t-il écrit entre deux dates de sa tournée. Comme pour prendre du recul et se rendre compte du chemin parcouru. En à peine un an, Luidji s’est finalement inséré dans « l’classement des rappeurs à suivre », grâce à un premier album cohérent et personnel. « Palace Mafia » est donc l’occasion de dresser un premier bilan.
« Tout est tellement différent »
Mais qu’est-ce qui a changé chez le jeune rappeur parisien qui interprétait « Mécanique des fluides » il y a cinq ans de cela ? Beaucoup de choses. Lui-même ne se reconnaît plus.
« J’reviens d’tellement loin qu’j’ai l’impression d’parler d’un autre mec »
Tout d’abord, Luidji a su se construire une nouvelle fan base. Des gens qui comprennent sa musique. Avec cela, la célébrité qui en découle et qui l’envoie au septième ciel.
« Mec, j’suis tellement différent et j’le ressens
Hey, quand j’mets les pieds dans la pièce
Mes couplets ressemblent à des prières
Mes concerts à des messes »
Qui dit nouveaux fans, dit nouvelle richesse. Loin d’être riche mais assez pour ne plus être fauché — et pouvoir louer « le Série 7 ». Cette nouvelle vie, Luidji la tourne en dérision de manière subtile, rappelant au passage qu’il a encore du chemin à faire avant de savoir manier un bolide allemand.
« J’ai du public en virage, du public en présidentielle »
« J’ai loué le Série 7, j’ai mis quinze minutes à trouver comment démarrer la caisse »
Cette production de Ryan Koffi est son terrain de jeu favori. Très organique. Laissant de la place pour s’exprimer. Une façon de débiter qui lui est propre, lancinante, comme s’il nous parlait directement, et qui façonne encore plus son style. Comme dans chaque morceau de son album, les mots sonnent vrais et surtout sortent du cœur.
Amitié
« L’impression d’être prisonnier d’un cycle ». Ses histoires tumultueuses avec la gente féminine lui font prendre conscience de l’importance de l’amitié. Ce single célèbre l’amour qu’il a pour son équipe et les personnes qui sont à ses côtés depuis le début. Des personnes qui resteront quoi qu’il arrive. Une pensée renforcée par un court extrait d’une interview de Jacques Brel qui intervient au milieu du morceau.
« Mais la fidélité de certains hommes vis-à-vis d’autres hommes : ça, ça m’émeut aux larmes »
Un titre aux allures triomphantes, qui met un terme à des années difficiles et qui ouvre d’autres perspectives avec son label Foufoune Palace, qui ne cesse de le rendre fier.
« Ressers-moi un verre,
Champagne pour l’équipe, j’en suis tellement fier
Pour la tournée guichet fermé, pour le diplôme de ma mère »
Avec cet entourage, Luidji a vécu une longue période de doute, passant par plusieurs stades émotionnels. « Palace Mafia » fait alors lien avec l’album. Permettant de mieux comprendre les inspirations de Luidji : « Tout est tellement différent j’reviens tout droit de l’océan ».
Tristesse Business
En effet, dans le morceau « Erzulie », qui fait office d’interlude sur Tristesse Business, Luidji semble être au bord de la noyade. Se battant avec les flots. Comme Agoué, dieu de la mer dans la mythologie haïtienne, qui a donné son nom à la deuxième piste du projet. Comme Luidji, ce dieu est coincé entre deux femmes. Son histoire avec chacune d’elle s’enchaîne dans l’album. L’esthétique du projet est bâtie autour de ces influences haïtiennes, venant de ses parents. Une proposition inédite et rafraîchissante.
Deux adjectifs qui qualifient également très bien la proposition musicale. Assurée en majorité par Ryan Koffi, elle est un rouage indispensable du projet. Douce. Chaleureuse. Envoutante. Les instrumentaux, souvent très riches, prennent une belle place, sans nuire aux performances de Luidji. Toujours en symbiose.
Les pianos de « Femme flic » et de « Veuve Clicquot », entre autres, donnent l’impression d’être dans une suite royale, verre de champagne à la main. Les guitares (« Le remède ») et autres synthés (« Tu le mérites »), souvent accompagnés d’une basse faisant groover le tout, nous ramènent au soleil. Les voix servent aussi d’instruments : elles sont transformées, pitchées et font partie intégrante de la production (« Plus haut »). Les cuivres apparaissent également sur un morceau comme « Gisèle – Part 4 « , donnant un côté soul, d’influence 90’s, remis au goût du jour. Car oui, Tristesse Business : saison 1 est actuel, notamment dans les kits de percussions utilisés (« Christian Dior » ; « 3 ans »), tout en apportant cette touche d’originalité qui correspond à son auteur.
Cet habillage musical lumineux cache des sujets sensibles. Parfois très durs, comme sur « Système », révélant les douleurs et les blessures profondes d’une rupture.
« J’voulais pas faire le lâche plus que j’l’étais déjà, j’l’ai jetée en enfer
Mes excuses comme un petit pansement sur sa fracture ouverte
Je l’ai perdue »
On rentre alors très vite dans son intimité et l’on s’identifie bien plus facilement. Une vraie maîtrise du story telling qui nous plonge dans des histoires plus sombres que ne le laisse imaginer l’instrumentale. C’est là où réside l’intérêt de ce disque : l’approche musicale originale et ensoleillée contraste avec des propos plus tristes. Il sort des sentiers déjà empruntés par les rappeurs. Il va chercher plus loin qu’un simple morceau mélancolique piano-voix. L’objectif est de toujours captiver l’oreille de l’auditeur, quel que soit le thème abordé.
Voilà pourquoi Tristesse Business : saison 1 n’est pas qu’un simple album de rupture tristounet. La construction du disque le rend à la fois intéressant et ambitieux. Il parvient à faire ressentir des émotions, en utilisant des mots compréhensibles par tous, tout en créant un univers complexe, faisant référence à la culture propre d’une communauté. Un an plus tard, l’album est toujours là, les vagues de Nazaré caressant nos oreilles.